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Des flûtes Renaissance ?

Entendre des flûtes traversières Renaissance 

reste pour la plupart des mélomanes une expérience rarissime, voire impossible. Depuis 70 ans, les musiciens redécouvrent les musiques anciennes, et en donnent des interprétations « historiquement informées » de plus en plus convaincantes. Ce répertoire a conquis les plus grandes salles du monde, la facture instrumentale produit des instruments toujours plus maîtrisés et aboutis. On entend couramment la musique du 16e siècle à la flûte à bec, à la viole de gambe, au cornet à bouquin, au sacqueboute, au luth, au clavecin ou à l’orgue, mais quasiment jamais à la flûte traversière à six trous. Elle reste une inconnue, alors qu’elle était largement jouée et appréciée dans toute l’Europe jusqu’au milieu du 17e siècle, comme en attestent les sources musicales, les inventaires des diverses cours et surtout l’iconographie, très abondante sur le sujet.

Pourquoi un tel manque ? Probablement parce que, d’une part, peu de flûtistes s’y intéressent, même si l’on compte de plus en plus d’amoureux du « traverso » baroque. Pour preuve l’inexistence de classes de flûte traversière Renaissance en France et quasiment dans le monde, sauf en option dans de très rares conservatoires qui en possèdent des copies. D’autre part parce que cette flûte d’aspect si rudimentaire et pourtant si élaborée, exige une maîtrise très fine de l’émission d’air pour sonner « juste », dans cette intonation qu’impose le tempérament mésotonique de l’époque. Avec seulement six trous, il faut en effet adapter constamment le débit, l’angle d’attaque et la vitesse de l’air pour faire résonner les bonnes harmoniques et attraper les bonnes fréquences. Une maîtrise plus rigoureuse que sur l’instrument baroque, et qu’il s’agit aussi d’adapter selon l’instrument – flûte ténor en ré, petites flûtes en sol ou en la, basse en sol –, mais aussi selon la copie que l’on joue, dont les caractéristiques peuvent largement varier selon le facteur et l’original qui en a été le modèle. Un travail de longue haleine que seul un rythme régulier de répétitions permet d’atteindre.

C’est ainsi que depuis une dizaine d’années, nous nous retrouvons quasiment chaque semaine pour travailler ensemble, seule clé pour « s’accorder » tous les cinq et trouver un son, une couleur commune.

Mais parallèlement à la fréquence de notre travail se pose la question des instruments qui, pour fonctionner ensemble, doivent être fabriqués en

« consort », c’est à dire en famille, pour bien « sonner » ensemble. Il reste à ce jour seulement quelques 80 flûtes originales d’avant 1650, réparties dans divers musées et collections. C’est peu, surtout au regard du catalogage des instruments de la cour d’Henri VIII, qui comptait à elle seule plus de soixante flûtes traversières !

Cela s’explique par la fragilité d’un instrument soumis constamment à l’humidité, qui se déforme, se fend facilement et vieillit beaucoup plus vite qu’un instrument à cordes, par exemple. Sans compter les modes ou les évolutions techniques qui mettent facilement au rebut un objet considéré comme obsolète. Les modèles sont donc limités, souvent en mauvais état, le travail de restitution est un vrai travail de spécialiste, qui exige non seulement des compétences dans le travail du bois, mais aussi une parfaite maîtrise de jeu pour en trouver les bons réglages. Trouver de bons instruments n’est pas simple...

Notre chance est de compter parmi nous un facteur de flûtes, réputé pour la fabrication de flûtes irlandaises, mais qui s’est penché avec passion sur la fabrication de flûtes Renaissance. Il a ainsi réalisé nos consorts en fonction de nos projets et de nos besoins ! Nous jouons ainsi sur des instruments réellement sur mesure, copies aussi fidèles que possible d’originaux aux caractéristiques assez différentes. Nous jouons sur des copies d’après un consort signé d’un trèfle conservé à l’Académie philharmonique de Vérone, instruments probablement fabriqués dans la seconde moitié du 16e siècle dans le sud de l’Allemagne (dont nous jouons aussi des modèles copiés par Philippe Allain-Dupré), et sur un consort réalisé à partir d’un original conservé au musée des instruments de musique de Bruxelles, signé C. Rafi, facteur lyonnais de la première moitié du 16e siècle. Deux groupes d’instruments aux couleurs différentes, le modèle «germanique» en 415 Hz, plus brillant et incisif, plus agile dans les aigus, que nous avons choisi pour le répertoire allemand et italien ainsi que pour quelques pièces anglaises ; le modèle lyonnais en 392 Hz, plus rond, plus chaleureux, plus à l’aise dans les graves, que nous avons réservé au répertoire français et aux pièces de Dowland.

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